A PROPOS DU PROJET DE LOI« POUR CONTRÔLER L’IMMIGRATION, AMÉLIORER L'INTÉGRATION »
DES ASSOCIATIONS S'ENGAGENT POUR UNE POLITIQUE MIGRATOIRE RESPECTUEUSE DES DROITS DES PERSONNES EXILÉES
Depuis que les hommes sont sortis d’Afrique il y a environ 60 000 ans, les migrations de population ont accompagné l’histoire de l’humanité et contribué à son développement. Notre diversité est notre richesse. Les migrations augmentent dans le monde, donc également en France. On estime qu’en 2020 les migrants internationaux représentaient moins de 4% de la population mondiale, ceci aussi bien dans les pays du Sud que dans les pays développés. Il y a en France actuellement environ 7% d’immigrés, des personnes nées étrangères à l’étranger, dont environ le 1/3 sont devenues françaises[1]. Les jeunes nés en France de parents étrangers sont étrangers, même si la majorité deviendra française à l’âge de 16 ans. Une partie de la population a un lien avec l’immigration parce que l’un de ses parents au moins est venu de l’étranger. Rassembler immigrés et descendants d’immigrés dans un même ensemble pose un problème. Il s’agit d’une population qui a des liens très différents avec la migration, parfois extrêmement réduits. On y trouve aussi bien des réfugiés ukrainiens fraîchement arrivés que des personnes âgées de plus de 80 ans dont les parents ont migré en France à la fin des années 1930 et qui ont tout oublié de leur pays « d’origine ». On ne sait pas bien dire au juste ce que signifie « avoir un parent immigré » et la notion même d’origine n’a pas toujours une grande signification.
Classée 77ème en 2020 en part d’immigrants dans sa population, la France est loin derrière l’Allemagne, les pays de la péninsule Arabique, le Luxembourg, la Suisse, le Canada, l’Australie ou encore les Etats-Unis. Pourtant, la France a été une terre d’immigration. Nous sommes également un pays d’émigration avec 2,5 millions de Français vivant à l’étranger.
Les conditions réglementaires de l’accueil des immigrés sur le territoire national influent très peu sur le choix de leur destination des personnes qui souhaitent quitter le pays dans lequel elles vivent. Les déterminants de ce choix sont avant tout la proximité avec la langue, le niveau de vie du pays par rapport à celui qu’on quitte et l’existence d’une communauté originaire de son pays et de sa culture dans le pays de destination. Aucune régularisation des immigrés n’a été suivie d’une arrivée massive de nouveaux immigrés et n’a jamais provoqué d’ « appel d’air » ni de grand remplacement, pseudo-théories qui ne résistent à aucune analyse scientifique sérieuse.
Le Parlement (le Sénat le 27 mars, l’assemblée nationale en juin) va très prochainement entamer le débat sur le projet de loi « pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration ». Le projet de loi comporte plusieurs volets : travail, intégration, éloignement mais aussi asile et contentieux des étrangers :
Travail facilité pour certains métiers : le projet de loi crée une carte de séjour temporaire d'un an "travail dans les métiers en tension"Intégration et titres de séjour : Les étrangers qui demandent une première carte de séjour pluriannuelle devront avoir des compétences minimales dans l'expression en langue française et s'engager à respecter les principes de la RépubliquePossibilités d'éloignement renforcées ; Interdiction du placement en centre de rétention administrative (CRA) des mineurs étrangers de moins de 16 ans.Asile et contentieux des étrangers : parcours administratif simplifié entre les différentes administrations compétentes (préfecture, Office français de l’immigration et de l’intégration ; création de chambres territoriales de la CNDA (aujourd'hui uniquement implantée à Montreuil en Seine-Saint-Denis) et généralisation du juge unique .
Ce texte a été amplement discuté et critiqué par la Défenseure des Droits qui souligne des risques majeurs pour les droits fondamentaux des étrangers[2].
Des associations et collectifs, dont Tous Migrants, déplorent le contenu du projet de loi. En trente ans, plus de vingt textes de lois se sont succédés (le dernier ne datant que de 2018), allant dans le sens continu d’une détérioration des conditions d’accueil et des droits des personnes exilées.
Ce document présente une série de recommandations pour une politique migratoire respectueuse de la dignité et des droits fondamentaux.
Tous Migrants, avec ses partenaires Médecins du monde et Anafé, est particulièrement concerné par le premier chapitre de ces propositions : L'ACCÈS AU TERRITOIRE ET LA SITUATION AUX FRONTIÈRES[3]
Les personnes qui entrent sans titre de séjour sur le territoire français aux frontières intérieures ne le font pas illégalement. La libre circulation des personnes est garantie dans l'espace de Schengen. Les immigrants sont abusivement qualifiés d'illégaux. Ces personnes sont illégallisées par les pratiques juridiques et policières : externalisation des frontières intérieures de la France depuis 2015, condamnée pour cela par la Cour Européenne; impossibilité de formuler une demande d’asile de façon conforme au droit ; enfermement temporaire illégal sans fondement juridique ; impossibilité d'avoir accès à un avocat et à un interprète, etc. L'une des conséquences de ce processus est leur invisibilisation. La migration est un processus “social et collectif” qui doit prendre en compte "les subjectivités des personnes migrantes et de leurs luttes, plutôt que des logiques du capital et des frontières étatiques qui leurs sont imposées” (réf. : Tous Migrants, Pratiques policières du contrôle de la frontière. Briançon. 2022).
I-1 Assurer le droit à la mobilité pour toutes et tous par des politiques migratoires respectueuses des droits fondamentaux des personnes (notamment par le respect du droit de vivre en famille et la délivrance non-discriminatoire de visas).
Alors que la récolte de données dans le Briançonnais permet de constater des procédures de refoulement en Italie très expéditives, durant lesquelles les personnes en migration interpellées dans la zone de Montgenèvre, à Modane ou au tunnel de Fréjus sont dans l’impossibilité totale d’exercer leurs droits.
Nous rappelons que : Article L332-2 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) :
« L’étranger qui ne satisfait pas aux conditions d’admission prévues au titre I peut faire l’objet d’une décision de refus d’entrée, sans préjudice des dispositions particulières relatives au droit d’asile et à la protection internationale ou à la délivrance de visas de long séjour. » (Article L332-1) « La décision de refus d’entrée, qui est écrite et motivée, est prise par un agent relevant d’une catégorie fixée par voie réglementaire. La notification de la décision de refus d’entrée mentionne le droit de l’étranger d’avertir ou de faire avertir la personne chez laquelle il a indiqué qu’il devait se rendre, son consulat ou le conseil de son choix. Elle mentionne le droit de l’étranger de refuser d’être rapatrié avant l’expiration du délai d’un jour franc dans les conditions prévues à l’article L. 333-2. La décision et la notification des droits qui l’accompagne lui sont communiquées dans une langue qu’il comprend. Une attention particulière est accordée aux personnes vulnérables, notamment aux mineurs accompagnés ou non d’un adulte. »
I-2- Défendre le principe de la libre circulation pour tous et toutes dans l’Espace Schengen.
Pour contrer les refoulements illégaux, en particulier ceux faisant obstacle aux soins.
Durant l’hiver, les risques d’hypothermie, de déshydratation et de gelures sont accrus et nécessitent une intervention rapide. De plus, dans un contexte de militarisation des frontières, les personnes peuvent se cacher plusieurs heures dans la neige pour échapper aux forces de l’ordre augmentant ainsi les risques évoqués pour leur santé. En été, les personnes arrivent par différents chemins, parfois plus périlleux, plus longs. Ils peuvent se perdre et rester plus longtemps dans un environnement hostile, ce qui accentue les problèmes de déshydratation ou de surinfection de plaies diverses par exemple.
D’autres problématiques de santé rencontrées sont dues directement à la militarisation de la frontière : il s’agit des chutes et des entorses liées à une fuite ou une course-poursuite. Ainsi, de graves accidents se sont produits dès l’hiver 2016/2017 (personnes amputées à la suite de gelures, personnes handicapées à vie après avoir chuté dans un ravin en tentant d’éviter un contrôle de police…). Depuis 2018, sept personnes sont décédées de noyade ou d’hypothermie, et trois autres sont portées disparues. Au-delà de la mise en danger des personnes provoquées par les pratiques policières du contrôle de la frontière, le corpus de témoignages recueillis sur la période donnée établit que le refoulement des personnes exilées de la France vers l’Italie prime aux yeux des autorités françaises, au mépris de l’accès aux soins, qui demeure un droit fondamental.
I-3- Mettre fin au rétablissement des contrôles aux frontières intérieures, régime supposément temporaire et exceptionnel qui dure depuis plus de 8 ans en contradiction avec le droit de l’union européenne. Mettre fin aux pratiques illégales aux frontières et notamment les contrôles discriminatoires, les procédures irrégulières, la détention arbitraire, les refoulements, les violences policières...
I-4- Accueillir toute personne aux frontières afin d’examiner avec attention et impartialité chaque situation et d’assurer le respect des droits de toutes et tous. Mettre fin à la séparation des familles.
Selon l’article 8 de la CEDH, toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, qui demeure un droit fondamental.
Or, il arrive que si les secours sont appelés, soit sur insistance des personnes interpellés ou sur insistance d’une personne en maraude, s’il s’agit d’une famille et qu’une personne de la famille doit être emmenée à l’hôpital, les autres membres de la famille sont gardés à la PAF. Plusieurs témoignages font état de telles séparations de familles.
I-5- Cesser de criminaliser la solidarité : mettre fin aux amendes abusives, contrôles répétés et intimidations verbales.
La délivrance d’amendes « fantaisistes » est une forme de pratique répressive de la PAF de Montgenèvre à l’encontre des personnes en maraude. L’exemple le plus marquant est la délivrance de cinq amendes le 17 juin 2022 pour « tapage nocturne » pour claquement de portières, qui ont été contestées et annulées depuis. Ces contrôles d’identités, qui sont en soi une pratique d’intimidation, sont très régulièrement accompagnés de propos tendant à décrédibiliser et délégitimer l’activité des personnes solidaires.
I-6- Respecter l’obligation de porter secours aux personnes en danger aux frontières et les conduire dans un lieu sûr (hors lieu d’enfermement) respectant leurs droits fondamentaux sans délais.
Outre la compétence professionnelle des membres de Médecins du Monde pour évaluer l’état de santé des personnes, s’ajoute pour les médecins leurs obligations déontologiques.
Article 9 du code de déontologie médicale / article R. 4127-9 du code de la santé publique :
« Tout médecin qui se trouve en présence d’un malade ou d’un blessé en péril ou, informé qu’un malade ou un blessé est en péril, doit lui porter assistance ou s’assurer qu’il reçoit les soins nécessaires. »
I-7- Assurer le respect et la dignité des personnes décédées aux frontières et de leurs proches, par la prise en charge par les autorités françaises de l’identification des personnes décédées, la recherche et l’information de leurs familles, le rapatriement des corps, ainsi qu’une information transparente et indépendante sur les circonstances du déroulement des drames aux frontières.
L’ensemble des associations formulent également de très nombreuses propositions concernant les sujets suivants :
2- SÉJOUR ET DÉMATÉRIALISATION
Pour un droit au séjour large et durable, accessible à tous.
3- ÉLOIGNEMENT ET ENFERMEMENT
Fermer tous les lieux d’enfermement spécifiques aux personnes étrangères, notamment les centres et locaux de rétention administrative, les zones d’attente et les locaux dits « de mise à l’abri ».
4- ASILE
Garantir aux demandeurs et demandeuses d’asile la possibilité de voir leur demande examinée dans le pays de l’Union Européenne de leur choix, abolition du règlement Dublin.
5- ACCÈS AUX SERVICES ESSENTIELS
5.1. Accès à l'information :
Garantir une information suffisante, fiable et dans une langue comprise par les personnes, sur l’existence des droits et services essentiels disponibles et les modalités pour y accéder.
5.2 Accès à l'interprétariat et à la traduction :
Garantir l’accès à l’interprétariat professionnel et la traduction de tous les documents nécessaires à l’exercice effectif des droits.
5.3. Accès à la domiciliation :
Rendre effectif le droit à la domiciliation et à un accompagnement social pour les personnes sans domicile stable.
5.4. Hébergement :
Respecter l'inconditionnalité et la continuité de l'hébergement.
5.5. Alimentation
Garantir un accès digne à une alimentation suffisante et de qualité pour tous et toutes via l’accès à des ressources, financières ou à défaut des dispositifs d’aide alimentaire, suffisantes et adaptées (aide matérielle dans les dispositifs d’hébergement, accès à des dispositifs adaptés d’aide alimentaire dans zones de résidence, accès à des ressources financières suffisantes).
5.6. Santé :
Assurer un accès effectif de toutes et tous à la santé par une affiliation immédiate à la protection universelle maladie (Puma) et à la complémentaire santé solidaire, ce qui nécessite d’intégrer les bénéficiaires de l’AME au régime général de la Sécurité sociale et de supprimer le délai de carence des demandeurs et demandeuses d’asile imposé par la réforme de 2019.
5.7. Accès à l'apprentissage du français
- Supprimer tout lien entre titre de séjour et niveau de langue.
- Renforcer les moyens financiers de l’État pour permettre à chaque personne qui en a besoin d’accéder gratuitement à des cours de français.
5.8. Accès à l’éducation et à la formation :
Assurer l’accompagnement des personnes étrangères pour favoriser leur insertion sociale et professionnelle.
6 - SITUATION EN OUTRE-MER
Supprimer le régime d’exception en outre-mer et aligner la législation applicable sur le régime de droit commun.
CONCLUSION
Par ces propositions, Tous Migrants et les nombreuses organisations qui contestent la pertinence d'un nouveau projet de loi concernant l'asile et l'immigration, renouvellent leur engagement en faveur d'un accueil des exilé.es qui tienne compte de leur dignité et de leurs droits. Une nouvelle loi qui comporte en son titre le terme de « contrôle », c'est-à-dire qui assume ouvertement de considérer les exilé.es comme des indésirables, ne peut que nous faire réagir, nous qui considérons que chaque personne, fût-elle loin de sa terre d'origine, a la liberté de circuler et de s'installer dans le pays de son choix.(article 13 de la déclaration universelle des droits de l'homme).
[1]https://www.observationsociete.fr/population/immigres-et-etrangers/immigres-etrangers-en-france/
[2]https://juridique.defenseurdesdroits.fr/doc_num.php?explnum_id=21582
[3]Tous Mogrants. Rapport Pratiques poilicières du contrôle à la frontière. Briançon 2022. https://tousmigrants.weebly.com/uploads/7/3/4/6/73468541/rapport-2022-bd.pdf
A PROPOS DU PROJET DE LOI« POUR CONTRÔLER L’IMMIGRATION, AMÉLIORER L'INTÉGRATION »
DES ASSOCIATIONS S'ENGAGENT POUR UNE POLITIQUE MIGRATOIRE RESPECTUEUSE DES DROITS DES PERSONNES EXILÉES
Depuis que les hommes sont sortis d’Afrique il y a environ 60 000 ans, les migrations de population ont accompagné l’histoire de l’humanité et contribué à son développement. Notre diversité est notre richesse. Les migrations augmentent dans le monde, donc également en France. On estime qu’en 2020 les migrants internationaux représentaient moins de 4% de la population mondiale, ceci aussi bien dans les pays du Sud que dans les pays développés. Il y a en France actuellement environ 7% d’immigrés, des personnes nées étrangères à l’étranger, dont environ le 1/3 sont devenues françaises[1]. Les jeunes nés en France de parents étrangers sont étrangers, même si la majorité deviendra française à l’âge de 16 ans. Une partie de la population a un lien avec l’immigration parce que l’un de ses parents au moins est venu de l’étranger. Rassembler immigrés et descendants d’immigrés dans un même ensemble pose un problème. Il s’agit d’une population qui a des liens très différents avec la migration, parfois extrêmement réduits. On y trouve aussi bien des réfugiés ukrainiens fraîchement arrivés que des personnes âgées de plus de 80 ans dont les parents ont migré en France à la fin des années 1930 et qui ont tout oublié de leur pays « d’origine ». On ne sait pas bien dire au juste ce que signifie « avoir un parent immigré » et la notion même d’origine n’a pas toujours une grande signification.
Classée 77ème en 2020 en part d’immigrants dans sa population, la France est loin derrière l’Allemagne, les pays de la péninsule Arabique, le Luxembourg, la Suisse, le Canada, l’Australie ou encore les Etats-Unis. Pourtant, la France a été une terre d’immigration. Nous sommes également un pays d’émigration avec 2,5 millions de Français vivant à l’étranger.
Les conditions réglementaires de l’accueil des immigrés sur le territoire national influent très peu sur le choix de leur destination des personnes qui souhaitent quitter le pays dans lequel elles vivent. Les déterminants de ce choix sont avant tout la proximité avec la langue, le niveau de vie du pays par rapport à celui qu’on quitte et l’existence d’une communauté originaire de son pays et de sa culture dans le pays de destination. Aucune régularisation des immigrés n’a été suivie d’une arrivée massive de nouveaux immigrés et n’a jamais provoqué d’ « appel d’air » ni de grand remplacement, pseudo-théories qui ne résistent à aucune analyse scientifique sérieuse.
Le Parlement (le Sénat le 27 mars, l’assemblée nationale en juin) va très prochainement entamer le débat sur le projet de loi « pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration ». Le projet de loi comporte plusieurs volets : travail, intégration, éloignement mais aussi asile et contentieux des étrangers :
Travail facilité pour certains métiers : le projet de loi crée une carte de séjour temporaire d'un an "travail dans les métiers en tension"Intégration et titres de séjour : Les étrangers qui demandent une première carte de séjour pluriannuelle devront avoir des compétences minimales dans l'expression en langue française et s'engager à respecter les principes de la RépubliquePossibilités d'éloignement renforcées ; Interdiction du placement en centre de rétention administrative (CRA) des mineurs étrangers de moins de 16 ans.Asile et contentieux des étrangers : parcours administratif simplifié entre les différentes administrations compétentes (préfecture, Office français de l’immigration et de l’intégration ; création de chambres territoriales de la CNDA (aujourd'hui uniquement implantée à Montreuil en Seine-Saint-Denis) et généralisation du juge unique .
Ce texte a été amplement discuté et critiqué par la Défenseure des Droits qui souligne des risques majeurs pour les droits fondamentaux des étrangers[2].
Des associations et collectifs, dont Tous Migrants, déplorent le contenu du projet de loi. En trente ans, plus de vingt textes de lois se sont succédés (le dernier ne datant que de 2018), allant dans le sens continu d’une détérioration des conditions d’accueil et des droits des personnes exilées.
Ce document présente une série de recommandations pour une politique migratoire respectueuse de la dignité et des droits fondamentaux.
Tous Migrants, avec ses partenaires Médecins du monde et Anafé, est particulièrement concerné par le premier chapitre de ces propositions : L'ACCÈS AU TERRITOIRE ET LA SITUATION AUX FRONTIÈRES[3]
Les personnes qui entrent sans titre de séjour sur le territoire français aux frontières intérieures ne le font pas illégalement. La libre circulation des personnes est garantie dans l'espace de Schengen. Les immigrants sont abusivement qualifiés d'illégaux. Ces personnes sont illégallisées par les pratiques juridiques et policières : externalisation des frontières intérieures de la France depuis 2015, condamnée pour cela par la Cour Européenne; impossibilité de formuler une demande d’asile de façon conforme au droit ; enfermement temporaire illégal sans fondement juridique ; impossibilité d'avoir accès à un avocat et à un interprète, etc. L'une des conséquences de ce processus est leur invisibilisation. La migration est un processus “social et collectif” qui doit prendre en compte "les subjectivités des personnes migrantes et de leurs luttes, plutôt que des logiques du capital et des frontières étatiques qui leurs sont imposées” (réf. : Tous Migrants, Pratiques policières du contrôle de la frontière. Briançon. 2022).
I-1 Assurer le droit à la mobilité pour toutes et tous par des politiques migratoires respectueuses des droits fondamentaux des personnes (notamment par le respect du droit de vivre en famille et la délivrance non-discriminatoire de visas).
Alors que la récolte de données dans le Briançonnais permet de constater des procédures de refoulement en Italie très expéditives, durant lesquelles les personnes en migration interpellées dans la zone de Montgenèvre, à Modane ou au tunnel de Fréjus sont dans l’impossibilité totale d’exercer leurs droits.
Nous rappelons que : Article L332-2 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) :
« L’étranger qui ne satisfait pas aux conditions d’admission prévues au titre I peut faire l’objet d’une décision de refus d’entrée, sans préjudice des dispositions particulières relatives au droit d’asile et à la protection internationale ou à la délivrance de visas de long séjour. » (Article L332-1) « La décision de refus d’entrée, qui est écrite et motivée, est prise par un agent relevant d’une catégorie fixée par voie réglementaire. La notification de la décision de refus d’entrée mentionne le droit de l’étranger d’avertir ou de faire avertir la personne chez laquelle il a indiqué qu’il devait se rendre, son consulat ou le conseil de son choix. Elle mentionne le droit de l’étranger de refuser d’être rapatrié avant l’expiration du délai d’un jour franc dans les conditions prévues à l’article L. 333-2. La décision et la notification des droits qui l’accompagne lui sont communiquées dans une langue qu’il comprend. Une attention particulière est accordée aux personnes vulnérables, notamment aux mineurs accompagnés ou non d’un adulte. »
I-2- Défendre le principe de la libre circulation pour tous et toutes dans l’Espace Schengen.
Pour contrer les refoulements illégaux, en particulier ceux faisant obstacle aux soins.
Durant l’hiver, les risques d’hypothermie, de déshydratation et de gelures sont accrus et nécessitent une intervention rapide. De plus, dans un contexte de militarisation des frontières, les personnes peuvent se cacher plusieurs heures dans la neige pour échapper aux forces de l’ordre augmentant ainsi les risques évoqués pour leur santé. En été, les personnes arrivent par différents chemins, parfois plus périlleux, plus longs. Ils peuvent se perdre et rester plus longtemps dans un environnement hostile, ce qui accentue les problèmes de déshydratation ou de surinfection de plaies diverses par exemple.
D’autres problématiques de santé rencontrées sont dues directement à la militarisation de la frontière : il s’agit des chutes et des entorses liées à une fuite ou une course-poursuite. Ainsi, de graves accidents se sont produits dès l’hiver 2016/2017 (personnes amputées à la suite de gelures, personnes handicapées à vie après avoir chuté dans un ravin en tentant d’éviter un contrôle de police…). Depuis 2018, sept personnes sont décédées de noyade ou d’hypothermie, et trois autres sont portées disparues. Au-delà de la mise en danger des personnes provoquées par les pratiques policières du contrôle de la frontière, le corpus de témoignages recueillis sur la période donnée établit que le refoulement des personnes exilées de la France vers l’Italie prime aux yeux des autorités françaises, au mépris de l’accès aux soins, qui demeure un droit fondamental.
I-3- Mettre fin au rétablissement des contrôles aux frontières intérieures, régime supposément temporaire et exceptionnel qui dure depuis plus de 8 ans en contradiction avec le droit de l’union européenne. Mettre fin aux pratiques illégales aux frontières et notamment les contrôles discriminatoires, les procédures irrégulières, la détention arbitraire, les refoulements, les violences policières...
I-4- Accueillir toute personne aux frontières afin d’examiner avec attention et impartialité chaque situation et d’assurer le respect des droits de toutes et tous. Mettre fin à la séparation des familles.
Selon l’article 8 de la CEDH, toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, qui demeure un droit fondamental.
Or, il arrive que si les secours sont appelés, soit sur insistance des personnes interpellés ou sur insistance d’une personne en maraude, s’il s’agit d’une famille et qu’une personne de la famille doit être emmenée à l’hôpital, les autres membres de la famille sont gardés à la PAF. Plusieurs témoignages font état de telles séparations de familles.
I-5- Cesser de criminaliser la solidarité : mettre fin aux amendes abusives, contrôles répétés et intimidations verbales.
La délivrance d’amendes « fantaisistes » est une forme de pratique répressive de la PAF de Montgenèvre à l’encontre des personnes en maraude. L’exemple le plus marquant est la délivrance de cinq amendes le 17 juin 2022 pour « tapage nocturne » pour claquement de portières, qui ont été contestées et annulées depuis. Ces contrôles d’identités, qui sont en soi une pratique d’intimidation, sont très régulièrement accompagnés de propos tendant à décrédibiliser et délégitimer l’activité des personnes solidaires.
I-6- Respecter l’obligation de porter secours aux personnes en danger aux frontières et les conduire dans un lieu sûr (hors lieu d’enfermement) respectant leurs droits fondamentaux sans délais.
Outre la compétence professionnelle des membres de Médecins du Monde pour évaluer l’état de santé des personnes, s’ajoute pour les médecins leurs obligations déontologiques.
Article 9 du code de déontologie médicale / article R. 4127-9 du code de la santé publique :
« Tout médecin qui se trouve en présence d’un malade ou d’un blessé en péril ou, informé qu’un malade ou un blessé est en péril, doit lui porter assistance ou s’assurer qu’il reçoit les soins nécessaires. »
I-7- Assurer le respect et la dignité des personnes décédées aux frontières et de leurs proches, par la prise en charge par les autorités françaises de l’identification des personnes décédées, la recherche et l’information de leurs familles, le rapatriement des corps, ainsi qu’une information transparente et indépendante sur les circonstances du déroulement des drames aux frontières.
L’ensemble des associations formulent également de très nombreuses propositions concernant les sujets suivants :
2- SÉJOUR ET DÉMATÉRIALISATION
Pour un droit au séjour large et durable, accessible à tous.
3- ÉLOIGNEMENT ET ENFERMEMENT
Fermer tous les lieux d’enfermement spécifiques aux personnes étrangères, notamment les centres et locaux de rétention administrative, les zones d’attente et les locaux dits « de mise à l’abri ».
4- ASILE
Garantir aux demandeurs et demandeuses d’asile la possibilité de voir leur demande examinée dans le pays de l’Union Européenne de leur choix, abolition du règlement Dublin.
5- ACCÈS AUX SERVICES ESSENTIELS
5.1. Accès à l'information :
Garantir une information suffisante, fiable et dans une langue comprise par les personnes, sur l’existence des droits et services essentiels disponibles et les modalités pour y accéder.
5.2 Accès à l'interprétariat et à la traduction :
Garantir l’accès à l’interprétariat professionnel et la traduction de tous les documents nécessaires à l’exercice effectif des droits.
5.3. Accès à la domiciliation :
Rendre effectif le droit à la domiciliation et à un accompagnement social pour les personnes sans domicile stable.
5.4. Hébergement :
Respecter l'inconditionnalité et la continuité de l'hébergement.
5.5. Alimentation
Garantir un accès digne à une alimentation suffisante et de qualité pour tous et toutes via l’accès à des ressources, financières ou à défaut des dispositifs d’aide alimentaire, suffisantes et adaptées (aide matérielle dans les dispositifs d’hébergement, accès à des dispositifs adaptés d’aide alimentaire dans zones de résidence, accès à des ressources financières suffisantes).
5.6. Santé :
Assurer un accès effectif de toutes et tous à la santé par une affiliation immédiate à la protection universelle maladie (Puma) et à la complémentaire santé solidaire, ce qui nécessite d’intégrer les bénéficiaires de l’AME au régime général de la Sécurité sociale et de supprimer le délai de carence des demandeurs et demandeuses d’asile imposé par la réforme de 2019.
5.7. Accès à l'apprentissage du français
- Supprimer tout lien entre titre de séjour et niveau de langue.
- Renforcer les moyens financiers de l’État pour permettre à chaque personne qui en a besoin d’accéder gratuitement à des cours de français.
5.8. Accès à l’éducation et à la formation :
Assurer l’accompagnement des personnes étrangères pour favoriser leur insertion sociale et professionnelle.
6 - SITUATION EN OUTRE-MER
Supprimer le régime d’exception en outre-mer et aligner la législation applicable sur le régime de droit commun.
CONCLUSION
Par ces propositions, Tous Migrants et les nombreuses organisations qui contestent la pertinence d'un nouveau projet de loi concernant l'asile et l'immigration, renouvellent leur engagement en faveur d'un accueil des exilé.es qui tienne compte de leur dignité et de leurs droits. Une nouvelle loi qui comporte en son titre le terme de « contrôle », c'est-à-dire qui assume ouvertement de considérer les exilé.es comme des indésirables, ne peut que nous faire réagir, nous qui considérons que chaque personne, fût-elle loin de sa terre d'origine, a la liberté de circuler et de s'installer dans le pays de son choix.(article 13 de la déclaration universelle des droits de l'homme).
[1]https://www.observationsociete.fr/population/immigres-et-etrangers/immigres-etrangers-en-france/
[2]https://juridique.defenseurdesdroits.fr/doc_num.php?explnum_id=21582
[3]Tous Mogrants. Rapport Pratiques poilicières du contrôle à la frontière. Briançon 2022. https://tousmigrants.weebly.com/uploads/7/3/4/6/73468541/rapport-2022-bd.pdf