Contexte géographique
Le Grand Briançonnais, qui couvre le nord du département des Hautes-Alpes dans le nord de la région Provence Alpes Côte d'Azur, est le territoire de haute-montagne le plus peuplé d’Europe. Il compte environ 34 000 habitants permanents, dont 12 600 à Briançon.
La ville est située à une dizaine de kilomètres de la frontière franco-italienne. Le Val du Suse (la vallée voisine côté italien) et le briançonnais ont longtemps été réunis par la langue, les échanges et les règles de vie. Aujourd'hui encore, les connexions multiples perdurent dans tous les domaines de l’activité socio-économique. |
Au niveau du Briançonnais, les passages entre la France et l’Italie sont possibles par deux cols routiers principaux :
- Le col du Montgenèvre, situé à 1 850 m d’altitude, franchi par une route nationale ouverte toute l’année au trafic routier international sur l’axe Marseille – Turin.
- Le col de l’Échelle, situé à 1 746 m d’altitude, franchi par une petite route de montagne non déneigée et donc fermée à la circulation en hiver. Elle relie la Vallée de la Clarée, depuis le village de Névache, et la Vallée Étroite, puis débouche en Italie à Bardonecchia, dans le Haut Val de Suse
Chronologie
2015 |
A la demande de l’État et comme bien d’autres territoires, le Briançonnais s’engage volontairement à accueillir des personnes exilées du Calaisis et du quartier de Stalingrad à Paris. Au mois de novembre 2015, à la suite du démantèlement des campements de Calais, 21 personnes sont accueillies dans le cadre du dispositif des Centres d’Accueil et d’Orientation (CAO). La gestion du CAO est confiée à la MAPEmonde (Mission d’accueil des personnes étrangères, un service de la MJC-centre social du Briançonnais). Les personnes font l'objet d'un accompagnement individuel de leur situation administrative, bénéficient d'un suivi social et médical et participent à diverses activités. Toutes obtiennent finalement l’asile ou, à défaut, la protection subsidiaire.
A partir de 2015, la France a rétabli les contrôles aux frontières intérieures sous le prétexte de l’accueil de la COP 21. Ces contrôles ont été prolongés suite aux attentats du 13 novembre 2015. Depuis, le rétablissement des contrôles n’a eu de cesse d’être renouvelé par les autorités françaises, bien que la possibilité par les États membres de mener des contrôles systématiques aux frontières intérieures soit limitée à une durée de deux ans. |
2016
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De même, en novembre 2016, 24 autres personnes sont accueillies, cette fois-ci suite au démantèlement d’un campement dans les rues du quartier de Stalingrad à Paris. Contrairement à ce qui s’était passé pour les personnes en provenance de Calais, le préfet leur refuse de déposer leur demande d’asile en France, puis notifie leur transfert en Italie, au prétexte du Règlement de Dublin. Avec les responsables de la MJC, des élu·es locaux·ales et le député de la circonscription, Tous Migrants dénonce publiquement cette inégalité de traitement au regard de l’article 6 de la constitution : "la loi doit être la même pour tous".
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Hiver
2016/17 |
A partir de l'hiver 2016, le nombre des passages de la frontière par la montagne par le col de l’Échelle et nous sommes témoins du processus de militarisation de la frontière franco-italienne et des violations des droits fondamentaux des personnes exilées. Une dynamique de réseaux d’hébergement citoyen sur le Briançonnais s'est mise en place à partir de l'automne 2016. En novembre, Tous Migrants alerte la population : « Nous sommes dans un État de droit, veillons à y rester ».
La plupart des personnes exilées sont interceptées dans la montagne par les forces de l'ordre, souvent aux moyens de traques et de chasses à l’homme, et refoulées illégalement en Italie, parfois plusieurs fois avant de parvenir à passer. Cette politique dangereuse nie les droits fondamentaux des personnes, ce sont les prémices d'une politique illégale de refoulement quasi systématiques, qui perdure encore aujourd'hui. Très vite, les maraudes en montagne se sont imposées comme une nécessité, suite notamment à un accident dramatique survenu le 5 mars 2017 où deux personnes exilées se sont retrouvées bloquées dans une tempête de neige vers le col de l’Échelle (l'une d'elle a été amputée des mains et l'autre des pieds). La finalité des maraudes est double : réduire les risques auxquels les personnes exilées sont contraintes de s’exposer pour échapper aux refoulements systématiques, et témoigner du déni quotidien des droits à la frontière. En aucun cas les maraudes ne servent à “faire passer la frontière de manière illégale” comme les pouvoirs publics les en accuse trop souvent. Au contraire, ce sont ces refoulements qui sont illégaux. Les accidents et les morts auraient été encore plus nombreux sans l’implication des centaines de personnes solidaires qui se relaient au fil des saisons pour assurer ces maraudes. |
2017
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Après plusieurs manifestations devant la sous-préfecture pour dénoncer les entraves au droit d’asile (notamment les accords de Dublin) et le délit de solidarité, une première grande mobilisation qui réunit 350 personnes est organisée au col de Montgenèvre à proximité immédiate de la Police aux frontières. C'est la première manifestation à la frontière.
En juin, suite aux dublinages de la préfecture des Hautes Alpes, 21 personnes demandeuses d'asile prises accueillies par le CAO de Briançon se lancent dans une grève de la faim pour demander la suspension du règlement de Dublin, s’élever contre la reconduction aux frontières d’exilés, même mineurs, dénoncer le délit de solidarité appliqué aux citoyens solidaires. A l'occasion de la journée internationale des migrants, elles décident de prendre la route : la marche symbolique reliant Briançon à Gap réunit près de 300 personnes. Les personnes sont accueillies par une délégation à la préfecture et finalement toutes dédublinées. Toutes obtiennent le statut de réfugié ou la protection temporaire. Au mois de mai, 6 personnes exilées sont arrêtes à la gare de Briançon et l’une des co-fondatrices et responsables de Tous Migrants puis transférées à la PAF. Une manifestation spontanée est organisée. La personne solidaire est placée en garde à vue et écope d’un rappel à la loi. Les personnes exilées sont elles refoulées en Italie. Des manifestants tentent de bloquer pacifiquement la route avec leur corps. Un véhicule de police force le passage en fonçant sur les manifestants sur la voie de gauche et blesse l’un d’entre eux. C'est l'un des premier cas de violence policière, de répression et de tentative d'intimidation envers des personnes solidaires documenté à la frontière franco-italienne haute. Faute de dispositif mis en place par les pouvoirs publics, l'association Refuges Solidaires est créée pour proposer un hébergement d'urgence et de répit aux personnes venant de traverser la frontière. En juillet, après de longues négociations avec la mairie de Briançon un bâtiment est mis à la disposition par la Communauté de Communes du Briançonnais (CCB) via une convention avec l'association. Durant l'été, un collectif réinvesti une maison abandonnée à Puy Saint Pierre un village de l'agglomération de Briançon. Le lieu, dénommé “Chez Marcel” permet d'accueillir une dizaine de personnes. Une association est créée : “Marcel sans frontières”. En septembre, un « SOS » est lancé à l’attention des grandes ONG nationales pour obtenir leur soutien plus actif. Cette alerte fournit vite des résultats très concrets : un engagement de Médecins du Monde auprès de Refuges Solidaires ; un soutien et une collaboration concrète pour les actions juridiques et de plaidoyer de la part d’associations nationales comme la Cimade, le Gisti, l’Anafé, la Ligue des droits de l'Homme, et avec des avocats ; l’envoi de bénévoles par Emmaüs International auprès de l'association Refuges Solidaires qui assure l’accueil d’urgence à Briançon et plus largement une attention plus forte envers les expériences du Briançonnais. |
2018
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Le 6 janvier 2018, lors d’une maraude dans Montgenèvre, un bénévole de Tous Migrants, et un couple de médecins, sont interpellés alors qu’ils sont en train d’aider quatre jeunes personnes exilées frigorifiées, par moins 15°C. Les policiers obligent les personnes à embarquer tous les 4 à l’arrière de leur véhicule sans tenir compte de l’état d’épuisement d’une des jeune femme. Le bénévole appelle les secours, il apprendra plus tard que les pompiers sont venus chercher la jeune femme à la Paf et l’ont conduite à l’hôpital. Le bénévole sera convoqué au tribunal un an plus tard et condamné en première instance en janvier 2019 à 3 mois de prison avec sursis, au motif du délit d’aide à l’entrée, à la circulation ou au séjour irrégulier d’un étranger en France. Il a finalement été relaxée en appel. Cet exemple est le premier d'une longue liste de poursuites de bénévoles du collectif maraudes.
L'année 2018 marque un tournant dans les conséquences notoires de la militarisation de la frontière. Durant le seul mois de mai, 3 décès de personnes exilées et 1 disparition sont répertoriés dans la zone frontière : Blessing Matthew à La Vachette, dont le corps est retrouvé dans la Durance à Prelles (France), Mamadi Condé aux Alberts (France), Mohammed Fofana à Bardonecchia (Italie) et Alpha Diallo portés disparu entre la France et l'Italie. Ces décès interviennent dans un contexte particulier à la frontière : au printemps, le groupuscule raciste d'extrême droite génération identitaire se rend à Briançon pour mener des chasses à l'homme en montagne et se substituer, de manière illégale, à la Police aux Frontières et met directement en danger les personnes exilées lors de leurs tentatives de passage. Lors d'une action de communication, des militant·es d'extrême droite de toute l'Europe participent à la matérialisation symbolique de la frontière au Col de l’Échelle. Une manifestation spontanée le 22 avril est organisée par des solidaires en réaction à l’occupation du col de l’Échelle. Trois personnes solidaires sont placées en détention à Gap puis emprisonnées aux Baumettes à Marseille. C’est le début d’un combat emblématique contre « le délit de solidarité » : d'abord 3 puis 4 autres personnes sont poursuivies en marge de ce rassemblement : c'est l'affaire des 3+4+... de Briançon qui débute, ouvrant la voie à une longue liste de poursuites judiciaires à l'encontre de solidaires. A la frontière, le refoulements continuent et les tentatives de passage se décalent vers le Col du Montgenèvre où le dispositif sécuritaire est renforcé. Au printemps, un nouvel escadron de gendarmerie est déployé suite à la présence de générations identitaires. Un seul infléchissement est constaté à partir de l’automne : les personnes se déclarant mineures ne sont plus systématiquement renvoyées en Italie mais plus souvent confiées au Département. Les associations investies dans l'accueil notent que la population est de plus en plus vulnérable : de nombreuses femmes arrivent, de très jeunes enfants, et de personnes atteintes de blessures, de maladies et de handicaps. La plupart des personnes mineures (37% de personnes arrivées sur l'ensemble de l’année) se voient contester leur minorité par le Conseil Départemental (CD). Au mois d'octobre, les premières journées d’observation des pratiques policières à la frontière sont organisées par l’Anafé et Amnesty International, avec Tous Migrants. Le 15 novembre une nouvelle personne, Douala Gakou, est portée disparue en tentant de rejoindre la France. |
2019
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Pour la première fois, Tous Migrants organise au mois de mars une Grande Maraude Solidaire à Montgenèvre, une mobilisation devenu rendez-vous incontournable pendant 5 ans. Elle rassemble près de 500 participants et le soutien des associations nationales regroupées dans la CAFI, de l’Anafé, du CCFD-TS et de plusieurs organisations syndicales.
A partir du mois de mai, Médecins du Monde met en place d’une unité mobile de mise à l’abri (UMMA) auprès des personnes exilées et des maraudeurs. Plus généralement, on observe à la frontière une baisse des tentatives de passage. La population est cependant plus âgée et qu’elle résidait depuis plus longtemps en Italie. Beaucoup indiquent fuir l’Italie du fait qu’ils se sentent désormais indésirables, et/ou suite au refus de renouvellement de leur titre de séjour, en conséquence de la politique du gouvernement Salvini. L'année 2019 marque également le lancement d'une dynamique inter-associative aux frontières intérieures françaises, notamment avec une action nationale entre Briançon, Calais, Hendaye et Menton : "Frontières = zone de non-droit". A cette occasion, une chaine humaine réunit environ 400 personnes dans les rues de Briançon. En décembre, l’Anafé et Tous Migrants se voient attribuées une mention spéciale du prix des droits de l’homme de la République Française par la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH). Deux décès de personnes exilées sont à déplorer en 2019 : Tamimou Derman à la Vachette (France), Mohammed Ali Bouhamdi en Italie. |
2020
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En 2020, la hausse des arrivées observée en début d’année est stoppée par le confinement très strict imposé en Italie début mars. Fin mars, alors que la France est confinée, Tous Migrants gagne une action en référé-liberté contre le préfet des Hautes-Alpes à qui le tribunal administratif de Marseille ordonne d’assurer l’hébergement d’urgence de 23 jeunes dont la minorité n’a pas été reconnue par le Département des Hautes-Alpes jusqu’à ce que le juge des enfants ait statué sur leur minorité réelle.
En avril, Tous Migrants dépose une action en référé au Conseil d’État et pose une Question Prioritaire de Constitutionnalité : l’état d’urgence sanitaire ne prévoit pas de disposition de nature à protéger les personnes vulnérables et aggrave au contraire leur situation, pouvant constituer une atteinte à la dignité de la personne et au principe de fraternité, requête finalement rejetée par le Conseil Constitutionnel. En juillet, le procès de 2 agents de la Police aux Frontières (PAF) s'ouvre, l'un est mis en examen pour violence volontaire par une personne dépositaire de l’autorité publique sur un adolescent malien, l’autre pour usage de faux et soustraction de biens d’un dépôt public. Lors du jugement, rendu le 30 juillet, les deux agents de la PAF sont condamnés, l'un d'entre eux verra sa peine réduite en appel. C’est la première fois que les brutalités policières à l’encontre de personnes exilées à la frontière italienne sont évoquées devant un tribunal. Pendant l’été l’augmentation est relativement importante. La population évolue, il s’agit désormais principalement de personnes seules et de familles originaires d’Afghanistan et du Kurdistan iranien, ayant fui leur pays depuis plusieurs années pour la plupart, et parvenues en Italie puis en France par la route des Balkans. Après son élection, le nouveau maire et président de la Communauté de Communes met en demeure l’association Refuges Solidaires. Il ordonne de quitter les lieux au plus tard le 28 octobre 2020. Une large mobilisation naît, une pétition lancée par Tous Migrants recueille plus 50 000 signatures. Face à ce mouvement important, le maire de Briançon revient sur sa décision de faire évacuer le refuge à l'automne, fait remplir la cuve à fioul pour l'hiver et accorde une trêve de six mois le temps de trouver une solution d'accueil pérenne. Le maire met toutefois un terme à la convention de mise à disposition de l’appartement destiné aux bénévoles extérieur·es. A partir du mois de novembre, la militarisation de la frontière se renforce avec avec l'arrivée d'un deuxième escadron de gendarmes mobiles à l’appui de la PAF, les effectifs ont été renforcés par 60 personnes, dont 10 policiers en renforts à la PAF, 20 gendarmes réservistes et 30 militaires des forces sentinelles. Au cours de la période hivernale qui suit, les solidaires participants aux maraudes sont victimes d’intimidation et de répression : deux personnes solidaires seront mis en garde à vue, puis condamnés le en avril 2021 à deux mois de prison avec sursis sur la base d’un faux témoignage d’un gendarme mobile. 16 personnes solidaires sont convoqués en audition libre au cours de l’hiver 2020/2021, une cinquantaine d’amende sont attribués sous des prétextes fallacieux, souvent lié au couvre-feu en vigueur à l’époque. En décembre, la mairie de Briançon somme Tous Migrants de lui restituer le local qui nous servait de local pour le collectif maraudes, situé à côté du local d’hébergement d’urgence géré par Refuges Solidaires et mis à disposition par la municipalité précédente en 2017. |
2021
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A partir du mois de mars 2021, les capacités du Refuge Solidaire de Briançon ne répondent de nouveau plus du tout aux besoins.La situation est devenue plus en plus insoutenable, le refuge est complètement surchargé, jusqu’à 300 personnes par semaine. Des personnes doivent dormir à l’extérieur, tous les espaces intérieurs étant occupés. Les conditions de sécurité des personnes exilées et bénévoles sont devenues de plus en plus précaires.
Le 1er juin, Wael Chtiti est porté disparu après un refus d’entrée à Modane et sa remise à la police italienne. Le 22 juin, Mohammed Mahayedin, décède en aval de La Vachette. Une nouvelle alerte est adressée solennellement à la préfète le 25 juin 2021 par l’ensemble des acteurs de l’hospitalité des Hautes-Alpes. Cette alerte est ensuite rendu publique avec le soutien des ONG qui sont à nos côtés. Aucune réponse concrète n’est apportée. Le 25 août, l'association Refuges Solidaires déménage suite au non-renouvellement de la convention avec la mairie. Elle s'installe alors dans un nouveau lieu associatif, les "Terrasses Solidaires" (route de Grenoble), dont le financement repose uniquement sur des dons de citoyens et de fondations caritatives. Même si le lieu permet d'hébergement davantage de personnes, il ne peut, à lui seul combler les défaillances des pouvoirs publics. Même si la situation est incomparable à celle vécue dans l’ancien refuge insalubre, elle continue de faire courir des risques importants aux personnes présentes, exilées ou bénévoles. Le 30 septembre, une nouvelle prolongation du rétablissement des contrôles aux frontières intérieures est notifiée par les autorités françaises à la Commission européenne pour la période du 1er novembre 2021 au 30 avril 2022, au motif principal de lutte contre le terrorisme. Les alertes aux autorités restant sans réponse depuis des mois, les associations coresponsables des Terrasses Solidaires (Refuges Solidaires, Tous Migrants, Médecins du Monde, EKO!) décident le 24 octobre de suspendre temporairement l’hébergement en demandant à la préfecture l’ouverture immédiate d’un système d’hébergement d'urgence complémentaire et pérenne. Après une première nuit passée à la gare, et face à la menace d’intervention des forces de l’ordre, la paroisse Sainte- Catherine, avec le soutien de l’évêque de Gap, accepte d’accueillir les personnes exilées dans l’église puis sur le terrain de la paroisse, dans l’attente d’une solution pérenne apportée par l’État. Le 5 novembre 2021, dans un courrier adressé à Refuges Solidaires et à l’évêque de Gap, la préfète accuse l’association d’être responsable de “l’attraction du Briançonnais pour les migrants”. Elle indique que “des moyens supplémentaires ont été concentrés à la frontière afin d’entraver les passages illégaux, conformément aux lois régissant le droit au séjour en France. Elle conclue en affirmant “aucun dispositif d’accueil ne sera initié par nos soins”. Le 13 novembre la mobilisation inter-associative "Un toit c’est la loi" rassemble à Briançon près de 300 personnes pour exiger une solution complémentaire d'hébergement d'urgence et mettre l’État devant ses responsabilités. En marge de la manifestation, l'association Médecins Sans Frontière installe une tente humanitaire devant la paroisse de Briançon, une première en France. Le 17 novembre 2021, face à l'inaction des pouvoirs publics vis à vis de la situation à Briançon, Tous Migrants, avec le soutien de l’ANVITA et de Médecins du Monde, saisit la justice en référé-liberté, pour contraindre l’État à mettre les personnes exilées à l'abri. Dans son jugement, rendu le 30 novembre, le tribunal administratif rejette notre requête et s’aligne sur la logique préfectorale, celle d'un État qui se défausse de son devoir de mise à l'abri et fait reposer tout ce poids sur des citoyen·nes et des associations. |
2022
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Au début de l'année, plus de 230 policiers et militaires sont affectés au contrôle de la frontière, les deux escadrons de gendarmes mobiles sont désormais dotés d’un état-major sous le commandement d’un colonel. S’ajoute une patrouille relevant de la gendarmerie locale affectée au contrôle de la frontière.
Dans un arrêt rendu le 26 avril, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) rappelle que les États membres ne peuvent rétablir des contrôles à leurs frontières intérieures pour une durée supérieure à six mois, en vertu du principe de liberté de circulation au sein de l’espace Schengen, sauf apparition d’une nouvelle menace, distincte de la précédente. La CJUE juge également que le contrôle d’identité mis en œuvre dans le cadre d’un rétablissement des contrôles aux frontières intérieures excédant cette durée est illégal. Deux personnes exilées sont décédées à la frontière franco-italienne haute en 2022 : Fathallah Belafhay et Ullah Rezwan Sheyzad |
2023
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Au printemps, la capacité d’hébergement est de nouveau dépassée régulièrement. Le 10 mai, Refuges Solidaires alerte la Préfecture des Hautes-Alpes et réitère son appel pour des lieux d’hébergement d’urgence complémentaires, qui incombent à l’État.
Les conditions ne cessent de se dégrader au fil de la période estivale face au manque de solutions de transport à des tarifs accessibles et au nombre croissant de personnes hébergées, jusqu’à près de 300 personnes au début du mois d'août. Le 31 août, le conseil d’administration des Terrasses Solidaires décide de fermer provisoirement le bâtiment, l’accueil se poursuivant sur le terrain de la paroisse comme deux ans plus tôt, mais pour une période de deux semaines seulement. A partir du 14 septembre, les personnes exilées n’ont plus de toit pour se mettre à l’abri à l’exception d’un squat ouvert quelques semaines auparavant dans une ancienne maison d’enfants. Ce lieu, dénommé “Le Pado” subit une coupure délibérée de l’alimentation d’eau courante, par décision des autorités locales qui instrumentalisent l’insalubrité ainsi créée pour exiger l’expulsion, finalement exécutée le 13 décembre. Une fois de plus, la seule réponse de l’Administration se traduit par l’annonce du renforcement du dispositif répressif, sous la forme d’une “border force”, avec 84 effectifs policiers et gendarmes supplémentaires à partir du 21 septembre. Les contrôles au faciès et les arrestations se multiplient jusque dans la ville de Briançon et même au-delà, suivies de dizaines de mesures de refoulement en Italie ou d’obligation de quitter le territoire parfois assorties de placement en centre de rétention. La préfecture fait état de 369 "réadmissions" en Italie pour la seule semaine du 18 au 24 septembre. Simultanément au renforcement de la militarisation à la frontière, 3 décès de personnes exilées sont déplorés Moussa Sidibé en août, Mohammed Khalil le 15 octobre et Mahadi Yusef le 29 octobre. Une autre personne, Djibril Bayo est portée disparue le 26 octobre. Petite lueur d'espoir : dans un arrêt du 21 septembre (affaire C-143/22), la Cour de Justice de l’Union Européenne confirme l’illégalité des pratiques des forces de l’ordre aux frontières intérieures en matière de contrôle, d’enfermement et de refoulement des personnes en migration. |
2024
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Au début de l'année, le dispositif de contrôle de la frontière se renforce avec de nouveaux moyens matériels et humains mis à disposition de la PAF sur décision de la Préfecture. Ce dispositif comprend neuf policiers adjoints recrutés et affectés dès le mois d'avril, un nouveau véhicule 4x4 ainsi qu'une seconde motoneige.
Le 2 février 2024, le Conseil d’État a publié un arrêt s’opposant aux pratiques systématiques de remise de refus d’entrée aux personnes exilées interpellées à la frontière. Cette décision supprime l’article du CESEDA qui permettait d’opposer des refus d’entrée en toutes circonstances et sans aucune distinction en cas de rétablissement des contrôles aux frontières intérieures. Dans la foulée, nous avons observé un changement de pratiques à la PAF de Montgenèvre : la majorité des personnes ont un entretien individuel assez approfondi, même si la décision ne met pas un terme définitif aux refoulements en Italie. Durant cette procédure, elles ont la possibilité de faire valoir leur droit d’entrer sur le territoire au titre de d’asile et ressortent donc libres des locaux de la PAF de Montgenèvre. Les pratiques demeurent cependant très hétérogènes en matière de procédures et ce répit est de courte durée : à partir du novembre, les refoulements deviennent de nouveau la norme. Le 23 avril, dans la foulée de cet arrêt de Conseil d’État, la Défenseure des Droits rends une décision-cadre particulièrement documentée, “Respecter les droits des personnes migrantes à la frontière intérieure franco-italienne” et vient réaffirmer l’obligation pour les États membres d’appliquer les garanties juridiques minimales prévues par la “directive retour”. Au mois de mai, le corps de Mohamed Alrubaye est retrouvé dans la Vallée Étroite à 2300 mètres d'altitude. Contrairement aux autres années, le nombre d’arrivées durant la saison d’été est relativement faible. Il est difficile de définir clairement les raisons de cette fréquentation réduite même si plusieurs données sont donnent apportent des éléments de compréhension. Déjà, la politique répressive du gouvernement italien en Méditerranée centrale a fait chuter le nombre d’arrivées par la mer. Ensuite, comme en atteste des témoignages, un nombre important de personnes semblent bloquées en Tunisie, où l’Union européenne y mène une forte politique d'externalisation du contrôle migratoire. Enfin, les routes migratoires évoluent, nouvelle preuve que la théorie de l’appel d’air est fausse : cette baisse des arrivées coïncide avec l’arrêt (presque total) des refoulements à la frontière, du moins dans le Briançonnais, depuis les arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne de 2023 et du Conseil d’État. Le 14 juillet 2024, un incendie dans une chambre du refuge conduit à la fermeture du bâtiment des Terrasses Solidaires. Les personnes exilées ont d’abord été mises à l’abri dans un gymnase mis à disposition pendant deux nuits par la mairie de Briançon avant que la préfecture des Hautes Alpes réquisitionne la maison de la géologie (à quelques kilomètres en aval de Briançon) le temps que les Terrasses Solidaires soient en capacité d’accueillir de nouveau du public. Depuis la création de Refuges Solidaires en 2017, c’est la première fois que les pouvoirs publics ont apporté leur soutien à l’hébergement des personnes exilées dans le Briançonnais. |
2025
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Depuis le début de l'hiver, le recours aux refoulements est bel et bien redevenu la pratique courante et l’admission sur le territoire l’exception. Plus grave encore, l’exception réside aujourd’hui dans le respect des droits fondamentaux par la police aux frontières. La majorité des personnes exilées qui se présentent à la police aux frontières de Montgenèvre ou qui se font interpeler en montagne sont refoulées en Italie, y compris les personnes désirant demander l’asile en France.
En janvier et février, des solidaires sont témoins à plusieurs reprises des méthodes extrêmement dangereuses par les forces de l'ordre pour intercepter les personnes exilées en montagnes : prises en tenailles, guet-apens, courses-poursuites, chasses à l'homme parfois à proximité de falaises, de nuit et parfois jusque dans les rues de Briançon. Au-delà des contrôles ciblés et discriminatoires en montagne, de nombreuses violations de droits sont documentées : déni du droit d’asile face à des demandes explicites (parfois même formulées en français), absence d’interprète malgré le droit à l’interprétariat de tous.tes, absence de documents de réadmission, remise aléatoire de procès-verbaux (la majorité des personnes refoulées repartent sans la moindre information), entretiens expéditifs, manque d’information sur leurs droits, absence d’avocat.e, voix de recours ineffectives. |
Retrouvez de plus amples informations dans notre document de référence "L'accueil des personnes exilées dans le Briançonnais et dans les Hautes-Alpes (2015 - 2025)" et ses 6 annexes. Ce document que nous actualisons régulièrement est un outil d’information et de réflexion au service de l’ensemble de la population et des acteurs impliqués dans l’accueil des personnes exilées en France.
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