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CommémorAction du 6 février 2022
Nous avons répondu à l’appel international lancé par des associations Marocaines, Tunisiennes et Nigériennes pour faire du 6 février une journée de commémoration des personnes décédées aux frontières du monde, dans nos montagnes, dans nos mers, dans nos déserts. Nous dénonçons les politiques migratoires qui sont responsables de la perte tragique de ces personnes.
Ce 6 février à la Vachette nous rendions hommage à Mohamed, Mamadi, Ullah, Blessing, Tamimou, Mohamed et Fatallah, morts dans nos montagnes. Le 7 mai 2018, c’est ici, dans la Durance que Blessing Matthew s’est noyée alors qu’elle était poursuivie par la police. Au même moment à Calais, Paris, Modane, Menton, Bardonecchia et partout ailleurs dans le monde des rassemblements similaires avaient lieux pour se souvenir et dénoncer ces politiques mortifères.
Témoignages, discours et lancé de roses pour ne pas oublier, ces femmes, ces hommes, leurs noms. Pour ne pas oublier que ces morts auraient été évitées si les États ne bâtissaient pas des murs de honte partout à travers le monde. Pour ne pas oublier de lutter.
Notre frontière tue: Tamimou Derman n'est plus — Récit d'une maraude solidaire 20 févr. 2019 Par Maraudeurs Solidaires des clubs FSGT
Chaque nuit, des personnes exilées tentent d’arriver en France par le col de Montgenèvre malgré le froid, la neige et l'omniprésence de la Police. En dépit des maraudes spontanées des habitant·e·s, certaines personnes y perdent la vie. Comme Tamimou Derman, retrouvé mort d'hypothermie la nuit du 6 au 7 février 2019. Cette semaine-là, une vingtaine de membres de la FSGT ont maraudé avec les locaux. Récit.
D'un mélèze à l'autre, quatre ombres noires glissent sur la neige blanche. Au cœur de la nuit, les ombres sont discrètes, elles marchent sans bruit. Elles traversent les pistes de ski et s'enfoncent vers les profondeurs de la forêt, malgré les pieds glacés, les mains froides et les nuages de leurs souffles courts. Les ombres sont craintives comme des proies qui se savent épiées : elles nous fuient. Nous les poursuivons sans courir, pour ne pas les effrayer davantage. Nous lançons plusieurs cris sur leur trace, et nous réussissons finalement à les rattraper. Leurs mains sont de glace : nous les serrons et nous disons aux ombres qu'elles ne craignent rien, que nous voulons les sortir du froid et de la neige, que nous sommes là pour les aider. Les quatre ombres deviennent des hommes encore pétris de crainte. Leurs yeux hagards demandent : "Êtes-vous la Police ?". Malgré la peur, ils montent dans notre voiture. Nous dévalons la route qui serpente entre les montagnes. Les quatre hommes sont saufs.
Je me réveille en sursaut : ce n'était qu'un rêve. Parce qu'hier soir, les quatre ombres se sont enfoncées dans la forêt. Parce qu'hier soir, nous n'avons pas pu les rattraper. Parce qu'hier soir, nous n'avons pas su les rattraper. Parce qu'hier soir, les quatre ombres ont cru voir en nous des officiers de Police venus pour les arrêter. Quelques heures après ce réveil agité, la nouvelle tombe.
Cette nuit, une ombre est morte. De la neige jusqu'aux hanches, l'ombre a senti ses bottes se faire aspirer par l'eau glacée. Noyées au fond de la poudreuse, disparues. L'ombre a continué à marcher entre les mélèzes, en chaussettes. L'ombre n'avait pas le luxe de choisir. Épuisée, gelée jusqu'aux os, l'ombre a perdu connaissance. Ses frères de l'ombre l'ont portée jusqu'à la route pour tenter de la sauver, quitte à se faire attraper par la Police. Ils ont appelé les secours. L'ambulance est arrivée près de deux heures plus tard. L'ombre a été retrouvée sur un chemin forestier, au bord de la route nationale 94, reliant la frontière italienne et la ville de Briançon. L'autopsie confirmera ce que ses frères savaient déjà : décès par hypothermie. L'ombre avait dit au revoir à sa famille, puis elle avait peut-être traversé le désert. Elle avait peutêtre échappé aux geôles libyennes, aux tortures et aux trafics en tout genre. L'ombre avait peutêtre bravé les tempêtes de la Méditerranée entassée avec cent autres ombres sur un canot pneumatique. Et tant d'autres mésaventures. L'ombre avait jusque-là échappé aux polices européennes qui la traquaient uniquement parce que ce que l'ombre voulait, c'était arrêter d'être une ombre. L'ombre avait traversé la moitié du globe mais son chemin s'est arrêté en France, à quelques kilomètres de la frontière, parce que l'ombre a eu peur de la Police française.
L'ombre, c'était Tamimou Derman. Tamimou Derman n'était qu'un homme qui rêvait d'une vie meilleure.
Mamadi Conde, 16 ans, a été retrouvé mort dans le Bois des Alberts
Mamadi, Surtout et par dessus tout, il faut te rendre hommage. Toi l’enfant, l’homme, le frère Ici la terre pleure ton âme échouée. Pardonne nous Mamadi car nous n’avons pas su te sauver. Nous avons cru être forts, parfaits, encore convaincu d’avoir évité le pire . Mais te voici avec ton corps d’adolescent, ayant tout perdu, ayant tout donné.
Tu es une brèche Mamadi, une faille par laquelle nous pouvons laisser entrer tant de choses. Qu’allons nous décider de faire entrer dans cette brèche ? La brèche est l’espace qui nous laisse entrevoir l’obscurité ou la lumière . Tout dépend de la place qu’on décide d’adopter. Que choisissons nous de voir à travers toi ? La noirceur de l’inhumanité, de la haine, de la peur et de l’ignorance ? Non Il ne faut pas s’habituer Mamadi, on te promet de ne pas s’habituer à la banalité des mots, à l’anonymat, à l’injustice ou au spectaculaire utilisé sans vergogne et sans honte. Du fond de la brèche, on entend gronder la colère de tous. Les hommes, les femmes , les frères. Du fond de cette brèche nous allons prendre soin de l’ordinaire, du cadeau de vos rencontres sur ce chemin d’exil et sur cette terre que nous voulons souriante. De cette brèche, il nous faut nous tourner vers la lumière . La lumière de vos regards brillants et nourris d’espoir, la lumière de vos mains maintes fois serrées dans les nôtres , la lumière de nos fraternités incontournables et indispensables .
Repose en paix parmi nous.
Comment vous dire ? So Sorry Texte d'hommage à Blessing Matthew par Monique Huot-Marchand
A vous les sœurs de Blessing, à vous tous les membres de sa famille et tous ses amis, qui avez perdu le sourire de Blessing, comment vous dire notre tristesse, notre désarroi, notre colère de savoir que c’est dans notre pays, dans nos montagnes que Blessing s’est perdue à jamais ? Comment vous dire combien chacun d’entre nous voudrait s’associer profondément à votre chagrin de l’avoir perdue si jeune, en plein espoir d’une vie meilleure ? Mais nous avons si honte des sombres événements qui surgissent dans nos montagnes depuis de nombreux mois, que nous osons à peine vous adresser ces quelques mots. Certains d’entre nous sillonnent les montagnes pour tenter de vous protéger contre ces drames nocturnes, d’autres vous accueillent dans les refuges solidaires ou dans leurs maisons, et vous accompagnent dans vos longs et douloureux périples, parfois à leurs risques et périls. Mais comment vous dire notre impuissance à permettre que vous soyez toujours accueillis dans le respect et la dignité, malgré toute notre bonne volonté ?
Nous ne connaissions pas Blessing mais chacun de nous peut se reconnaître en elle, qui aspirait simplement à construire sa vie. Comment vous dire que nous saluons le courage qu’il lui a fallu, ainsi qu’à vous tous, pour tout quitter et arriver jusqu’à nous, dans l’espoir d’un possible que vous ne trouvez plus chez vous ? La mort de Blessing, nous la portons tous en nous, non seulement comme un drame personnel, mais aussi comme un échec de notre France soi-disant des droits de l'homme, de notre Europe qui ferme ses portes. Comment vous dire que nous ne voulons pas que sa mort soit vaine, que nous nous battrons pour qu'elle ne tombe pas dans l'oubli, et pour que les lois changent ou soient, tout simplement, appliquées ?
Comment vous dire que chacune des fleurs, chacune des bougies que nous allumons ce soir pour Blessing, est un désir de s’associer à votre peine, un chuchotement de réconfort à votre oreille ? Comment vous dire que jamais plus nous ne pourrons regarder les belles rivières de nos vallées : La Clarée, la Durance, sans penser à Blessing, à vous tous, au combat de solidarité qui est le nôtre ?
Puisse Blessing nous donner la force de ne jamais baisser les bras. Que la terre lui soit légère. Rest in peace.
Texte de Stéphanie Besson
Au-delà des frontières géographiques, où des personnes sont abandonnées sciemment à la dureté des éléments naturels jusqu'à ce que mort s'en suive (désert, mer, froid, neige, faim, soif, épuisement) d'autres frontières administratives et sociétales sont érigées pour tenter d'achever les rescapés, d'anéantir lentement, discrètement les exilés.
Ces frontières immatérielles tuent aussi; l'attente, les traumatismes ignorés, l'impuissance sur son propre avenir, le rejet, le dénigrement, le racisme, l'indifférence, l'insécurité, l'invisibilité, sont autant de pièges, de tortures psychologiques qui s’abattent volontairement sur les exilés. Cela réduit un être dans sa dignité, et peut le conduire parfois vers le désarroi, la dépression, l'alcoolisme, la violence, la folie, le suicide, la mort - Sangaré, Jeff, Moujahid, Fallah..
N'oublions jamais ces personnes mortes aux frontières, et n'oublions surtout pas que toutes ces personnes ne sont pas uniquement mortes, elles ont été assassinées par des politiques répressives . Et qu'il y a des responsables derrière chacune de ces morts.